Point de vue sur l’industrie laitière

Point de vue sur l’industrie laitière

L’industrie laitière veut le beurre, l’argent du beurre et le sourire des producteurs!

Article publié dans Le Quotidien le 6 mars 2018

Alors que depuis la fin des quotas laitiers (avril 2015), les éleveurs laitiers européens sont étranglés par la chute des prix de leur production, les industriels du lait, eux, se portent plutôt bien, et diversifient à l’infini leurs gammes de produits. Comment un tel prodige est-il possible?

Si les « marchés émergents » sont couramment mis ne avant pour justifier la frénésie à inventer des produits, le miracle est ailleurs. On nous parle de ces nouvelles classes moyennes qui veulent consommer des produits laitiers et les grands groupes industriels du secteur se targuent de savoir « anticiper les tendances de marchés, en s’adaptant aux modes de production et de consommation, tout en respectant les spécificités locales et culturelles de chaque pays. »

C’est l’alibi de la demande d’innovation qui encourage ces industriels à mettre sur le marché des pays émergents des substituts de lait ayant son apparence mais pas sa valeur nutritive : ils ne se contentent plus de transformer la surproduction européenne en poudre de lait, mais ont créé une poudre de lait écrémée et réengraissée avec de la matière grasse végétale, le plus souvent de l’huile de palme.. Utilisés en Europe uniquement pour des préparations industrielles, ces mélanges de lait en poudre réengraissé en matière grasse végétale arrivent sur les marchés ouest-africains  pour un prix de vente 30% moins cher que le lait entier en poudre (et 150 fois moins cher que le lait local). Pas surprenant alors que leur vente explose: « En 2015, pour la première fois, l’Afrique de l’Ouest importait plus de poudre de lait réengraissée que de poudre de lait entier. Or, « l’huile de palme n’est bonne ni pour l’environnement (déforestation et accaparement des terres paysannes), ni pour la santé », expliquent les ONG qui tirent la sonnette d’alarme[1]. Les consommateurs ouest-africains qui ne sont pas habitués à lire les étiquettes sur les produits, achètent cette poudre en croyant avoir à faire à de la poudre de lait traditionnelle.

Or, de Dakar à Ouagadougou, chacun décrit une détérioration généralisée de la santé avec une multiplication des demandes de dialyses, « dès l’âge de 12-13 ans ». «On est tous d’accord que nos parents étaient en meilleure santé que nous! Avant on était vieux à 90 ans, aujourd’hui on est vieux à 60! », affirment plusieurs paysans. De fait, en 2018, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 37 % des décès dans le pays étaient liés aux MNT (cancers, pathologies cardio-vasculaires, respiratoires, métaboliques, etc.). En 2017, le diabète a tué plus de 300 000 Africains ! Avec une augmentation de 156 % des cas en moins de trente ans, l’Afrique est en passe de devenir la région du monde avec la plus forte progression de la maladie.

… La seule consommation de lait réengraissé n’est évidemment pas la cause de ces différents fléaux, mais elle tient une part dans la surconsommation de produits industriels, trop gras, salés et sucrés : « Nous observons cela partout : l’industrie agroalimentaire dépense énormément en marketing afin que le consommateur se sente valorisé en achetant ses produits, et c’est d’une efficacité redoutable», confirme Stéphane Besançon, directeur de l’ONG Santé diabète, présente dans différents pays d’Afrique de l’Ouest, où l’étiquetage des produits n’est pas obligatoire.

Preuve que, délivrés d’une obligation de normes, les industriels n’accordent pas d’importance à la qualité nutritionnelle de leurs produits ; considèrent-ils que, parce qu’elle est vendue à bas prix, la mauvaise alimentation serait malgré tout un « service rendu aux « pauvres » » ?

Des standards de qualité variables pour les riches et les pauvres

N’en déplaise à la bonne conscience des dits industriels, ces mélanges de lait réengraissé contribuent plus sûrement au cercle vicieux du sous-développement : alors que le litre de lait local coûte au transformateur entre 250 et 600 FCFA (selon la région et la saison), le litre de lait reconstitué à partir de poudre réengraissée lui revient entre 170 et 200 FCFA. Ce différentiel colossal est également facilité par l’Union Européenne qui, d’un côté, soutient la production de lait européenne en apportant des aides (même si celles-ci s’avèrent insuffisantes pour les producteurs), et de l’autre, impose une libéralisation des échanges permettant d’ores et déjà aux sacs de poudre de lait de pénétrer sur les marchés avec seulement 5% de droits de douane. Cela est d’autant moins anodin que le Kenya, comme le Rwanda, sont parvenus à devenir autosuffisants en lait en l’espace de 10 ans, grâce à la protection de leur marché par des droits de douanes conséquents!

Car oui, les pays ouest-africains produisent du lait ( 2,5 milliards de tonnes en 2016) mais pour se développer et faire de la transformation locale, la filière lait aurait besoin d’être soutenue et protégée, ainsi que l’a fait pour le marché européen la PAC des débuts avec la « préférence communautaire ». Au lieu de quoi, la filière lait ouest-africaine doit faire face à la concurrence féroce d’importateurs qui s’appuient sur une PAC devenue fer de lance du libre-échange. Une fois retirée la bonne graisse du lait, les grandes firmes laitières européennes l’utilise pour fabriquer… du beurre : à 500 euros la tonne d’huile de palme et 6000 euros celle de beurre, on comprend mieux la motivation de l’innovation qui consiste à retirer la matière grasse animale pour la remplacer par de la végétale.

Il y a là, avouons-le, un remarquable tour de passe-passe qui donne soudain à l’expression « le beurre et l’argent du beurre » une pertinence inédite!!

…quant au sourire des producteurs, il faudra faire quelques efforts, et consentir à mieux partager les revenus du lait !

Marine Lefebvre

www.sosfaim.lu

Sur la même thématique : 13/03: Hungry Planet – Das System Milch ; Wie die Kuh vom Eis holen?

Im Rahmen der Programmation des Kulturhauses ROTONDES organisieren SLOW FOOD Luxembourg, FAIRTRADE Lëtzebuerg und SOS Faim die Veranstaltungsreihe HUNGRY PLANET.

Obligatorische Reservierung vor Sonntag, 10.03.2019 auf www.rotondes.lu

http://rotondes.lu/agenda/details/event/system-milch/

 

[1] L’étude Contraintes et leviers sur la filière de lait local réalisée par SOS Faim, le CFSI et le GRET sort très prochainement.

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