« Laisser nous circuler sur notre continent »

Alors que débutait le sommet de Rabat pour l’adoption du pacte de Marrakech, des organisations de la société civile africaine ont lancé ce « cri de cœur » pour dénoncer des « politiques migratoires xénophobes contre les Africains ».

« Au moment où nos collègues européens, américains ou asiatiques, usant de leur exemption de visa pour le Maroc, prenaient leur billet d’avion pour Marrakech, nous Africains, étions encore en train d’attendre que le Royaume chérifien veuille bien nous délivrer un visa. En fin de compte, nos délégations africaines ont dû payer plus cher leurs billets d’avion par rapport aux délégations des autres continents car ayant été obligées de les prendre à la dernière minute. A l’heure où les Nations Unies appellent dans le plan de développement pour 2030 à ‘’ne laisser personne en arrière’’, à l’heure de l’adoption du Pacte Mondial pour les Migrations, nous, les Africains, continuons à subir des politiques sécuritaires pour nous empêcher de circuler librement par rapport aux autres parties du monde. (…) Nous dénonçons les Etats africains qui continuent de jouer le jeu de l’Occident contre l’intégration africaine (…). Nous refusons la volonté de cantonner les Africains dans leur pays en renforçant les contrôles aux frontières, dans les déserts, sur les mers et dans les aéroports. »

De fait, c’est depuis la fin octobre que les ressortissants du Mali, de la Guinée Conakry et du Congo Brazzaville sont dans l’obligation de se faire établir une « Autorisation électronique de voyage » (AVEM) avant de se rendre au Maroc. Pour certains ressortissants des pays concernés par l’AVEM, ce dispositif est surprenant, voire incompréhensible, puisque les relations entre le Royaume, le Mali, la Guinée Conakry et le Congo Brazzaville sont qualifiées de cordiales. Selon certains observateurs, ces nouvelles dispositions relèveraient d’un « diktat de l’UE » : « cette mesure s’inscrit parfaitement dans la politique européenne de gestion de la migration qui a transformé les pays du Maghreb en de simples gendarmes chargés de surveiller et de contrôler les flux migratoires en provenance d’Afrique », a déclaré au quotidien marocain Libération  Ousman Diarra, président de l’Association malienne des expulsés, ajoutant que le Maroc serait « le premier pays du Maghreb à avoir pris cette décision et que celle-ci augure du fait que l’Algérie, la Tunisie et la Libye lui emboîteront le pas ».

Négation des traditions comme des droits

De fait, au nom de la lutte contre l’immigration clandestine, les droits humains fondamentaux des ressortissants de la grande majorité des Etats africains sont couramment bafoués. Pas seulement par le déficit d’intégration intra-africaine mais aussi par le chantage qui sert de politique aux décideurs européens : ce que le jargon européen nomme gentiment « sécurisation des frontières extérieures de l’Europe » est vécue en Afrique de l’Ouest comme une atteinte au droit humain fondamental (reconnu comme tel par la Déclaration de 1948) de circulation. De plus, cette violation intervient dans un contexte sous-régional où les migration intra-régionales sont une tradition multi-séculaire et bien souvent une question de vie ou de mort, lorsque, par exemple, les réserves pour nourrir sa famille avant la prochaine récolte sont épuisées. Or, pour ne citer que l’exemple du Niger, celui-ci a, depuis, 2010, bâti un arsenal juridique répressif qui criminalise notamment le transport de personnes

Les sanctions prévues pour les infractions liées au « trafic illicite de migrants » peuvent atteindre jusqu’à 30 ans d’emprisonnement et de très lourdes amendes. Soit, mais imagine-t-on un chauffeur de car européen exiger les papiers d’une personne avant de l’embarquer ?

Dans les faits, cette loi conduit les transporteurs à ne plus prendre le risque d’exercer leur métier, et ce, dans une région où le voyage n’est possible que par camion, qu’on soit migrant s’orientant vers l’Europe, ou simplement, comme c’est le plus souvent le cas, voyageur qui cherche à rejoindre le pays sahélien voisin…

Migration ou terrorisme

Germain Ouedraogo, acteur engagé de la société civile du Burkina Faso nous rapportait récemment une anecdote éclairante : « un jeune éleveur dit ‘je ne savais pas que prendre deux bouts de fil et les toucher entre eux pouvait rapporter cinq cent mille francs’. Il venait d’enclencher une mine artisanale qui a fait sauter un véhicule des forces de défense et de sécurité. »… cela pour rappeler la situation de déshérence où se trouve une large partie des populations des pays du Sahel, et tout particulièrement la jeunesse au sujet de laquelle il se dit aussi : « quand on va jusqu’à enlever le droit de rêver aux jeunes, on en fait des criminels, des terroristes. »

Le droit de rêver, c’est celui de pouvoir espérer une vie meilleure, et si ce n’est possible chez soi, alors ailleurs…

Marine Lefebvre

www.sosfaim.lu

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