Inquiétudes face à une emprise grandissante des entreprises transnationales sur les organisations des N-U consacrées à l’alimentation.

Inquiétudes face à une emprise grandissante des entreprises transnationales sur les organisations des N-U consacrées à l’alimentation.

Les organisations luxembourgeoises membres du Cercle des ONGD et de Meng Landwirtschaft ont adressé le 21 juillet une lettre aux Ministres Jean Asselborn, Ministre des Affaires étrangères et européennes, Franz Fayot, Ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire, Romain Schneider, Ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, une lettre afin de les engager à se saisir d’un dossier qui inquiète les mouvements de sociétés civiles engagés pour la défense des droits humains sur tous les continents. Voici le communiqué de presse correspondant à cette initiative.


COMMUNIQUE DE PRESSE
Luxembourg, le 21 juillet 2021

Sept mois après l’envoi d’un premier courrier à Messieurs Jean Asselborn, Ministre des Affaires étrangères et européennes, Franz Fayot, Ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire, Romain Schneider, Ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, (daté du 1ier décembre 2020), resté sans réponse et à l’approche du Sommet de l’ONU sur les systèmes alimentaires, les organisations signataires du premier courrier, rejointes par de nouvelles organisations coalisées dans deux plateformes, le Cercle des ONGD et Meng Landwirtschaft , ont renouvelé leur démarche en direction des Ministres cités pour leur fait part de leur inquiétude concernant l’emprise grandissante des entreprises transnationales sur les organisations des Nations Unies consacrées à l’alimentation.

Ce fut tout d’abord la “lettre d’intention” annoncée par la FAO d‘officialiser un accord de partenariat avec CropLife International, l’association commerciale mondiale représentant toutes les plus grandes entreprises agrochimiques, de pesticides et de semences.

Estimant que cette alliance serait dangereuse pour l’avenir de nos systèmes alimentaires mondiaux, diverses démarches ont été conduites pour faire part au directeur général de la FAO des préoccupations d’une vaste coalition internationale d’organisations de la société civile concernant un partenariat de nature à saper une des priorités de l’institution qu’il dirige, à savoir minimiser les méfaits de l’utilisation de pesticides chimiques dans le monde. Elles ont également souligné le fait que la perspective de ce partenariat constitue une menace pour l’intégrité, la crédibilité, l’impartialité, l’indépendance et la neutralité de la FAO.

Toutes les démarches entreprises depuis le second semestre 2020 sont malheureusement restées vaines[1]. Pire, les inquiétudes ont grandi à mesure que se profilaient les contours du prochain Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires, et notamment la promotion d’une nouvelle Interface Science-Politique ( IPS ) : bien que les propositions pour la nouvelle IPS — parfois appelée « GIEC pour l’alimentation » — n’aient pas encore été formellement soumises à un organe décisionnel, le risque est réel que l’IPS réoriente la gouvernance des systèmes alimentaires et les conseils scientifiques au détriment des principes démocratiques, mais aussi que le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires donne lieu à une fragmentation de la gouvernance alimentaire publique à travers le CFS/HLPE en créant de nouveaux espaces qu’une poignée d’acteurs puissants pourraient plus facilement contrôler et dominer. «  Alors que les société transnationales (STN) exercent déjà un contrôle sur les systèmes alimentaires et agricoles et sur les chaines d’apprisionnement, les STN s’efforcent  d’étendre leur sphère d’influence dans les espaces de politique publique, en particulier aux Nations Unies », regrette Danielle Bruck de SOS Faim.

L’emprise des entreprises sur les espaces de l’ONU, déjà rendue évidente par la nomination d’Agnes Kalibata (présidente de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique) en tant qu’envoyée spéciale de l’ONU pour le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires, ainsi que par le projet d’alliance stratégique de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) avec CropLife International, se concrétise encore davantage à travers cette proposition de la création d’une nouvelle IPS.

Or, le Comité des Nations Unies sur la sécurité alimentaire mondiale (CSA) a été réformé en 2009 pour devenir « la principale plateforme internationale et intergouvernementale inclusive permettant à toutes les parties prenantes de travailler ensemble pour assurer la sécurité alimentaire et la nutrition pour tous ». Il s’inscrit dans le cadre normatif des Nations Unies en matière de droits de l’homme et a facilité les négociations multilatérales sur un large éventail de questions cruciales relatives au système alimentaire. Le CSA est donc l’organisme le plus légitime pour établir une IPS mondiale sur les systèmes alimentaires, et il dispose déjà de sa propre IPS : le Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE).

A l’opposé, les propositions pour la nouvelle ISP semblent manquer de mécanismes de responsabilisation clairs pour effectuer un travail légitime et efficace en matière de politique scientifique, alors que ces mécanismes ont été adoptés par le HLPE : ouverture à un large éventail de systèmes de connaissances différents, consultation publique et capacité de traiter les controverses sous différents angles. Avec son accent unidimensionnel sur une science au service des intérêts des grandes entreprises et fortement biaisée par les intérêts économiques et commerciales, la nouvelle ISP exclut de nombreuses connaissances (p.ex., autochtones, paysannes, féminines) qui sont pourtant nécessaires pour faire face à l’incertitude et à la cocréation des systèmes alimentaires, agricoles et d’utilisation des terres plus justes et plus durables. Une telle ISP risque de favoriser les orientations scientifiques reflétant et renforçant les intérêts économiques et politiques d’un réseau élitiste de gouvernants, de chercheurs et de fondations ayant des liens commerciaux solides. « Parmi les exemples concrets d’une telle manipulation des sciences au services des intérêts économiques on peut notamment citer le cas de l’industrie du tabac ou des néonicotinoïdes (les insecticides qui tuent les abeilles), utilisant les services de scientifiques, pour contrefaire la vérité, semer le doute et retarder ainsi de plusieures années des législations nécessaires, et ce au détriment de la santé publique », explique encore François-Xavier Dupret, Responsable analyse et partenariat du Cercle.

Face à l’ampleur de la menace qui pèse sur le système des Nations Unies consacré à l’alimentation et au regard de l’engagement du gouvernement luxembourgeois en faveur de la Déclaration des Nations Unies pour les droits des paysans et autres personnes travaillant en milieu rural (UNDROP), nos organisations pressent le gouvernement luxembourgeois et sa représentation permanente auprès de la FAO de :

  • Défendre les institutions publiques démocratiques multilatérales d’une tentative d’appropriation par le secteur privé marchand ;
  • Rejeter résolument la nouvelle IPS : toute nouvelle IPS sur les systèmes alimentaires saperait le HLPE et, par extension, affaiblirait l’architecture de la gouvernance alimentaire publique développée par le CFS ;
  • Renforcer l’engagement et les investissements dans le HLPE.Le HLPE fournit une base de données beaucoup plus solide et plus valide pour la politique que ce qui est proposé par cette IPS nouvellement inventée. Il faut renforcer le HLPE plutôt que de le remplacer par une IPS qui ne soit responsable qu’auprès des élites ;
  • Soutenir les processus participatifs qui incluent activement et significativement des perspectives et des voix plurielles dans la gouvernance du système alimentaire. Les agriculteurs et les autres citoyens ont besoin d’espaces inclusifs, participatifs et sûrs au sein du processus CSA-HLPE pour co-créer les connaissances nécessaires pour gouverner les systèmes alimentaires aux niveaux mondial, national et local.

En tant que membre élu du Conseil de la FAO, le Luxembourg doit apporter sa voix dans le processus et demander résolument que la FAO replace les droits humains, individuels et collectifs, les expériences et les connaissances des personnes et des peuples autochtones les plus touchés, au centre de toutes ses démarches, sans la laisser confisquer par le secteur privé et les intérêts marchands.

Votre contact presse :
François-Xavier Dupret
Responsable analyse et partenariat du Cercle : +352 26 02 09-21

En savoir plus :
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Participer à la mobilisation en signant cette pétition  :
Dites à la FAO d’arrêter l’ #AllianceToxique avec CropLife !


[1] En novembre 2020, plus de 350 organisations de la société civile et des peuples autochtones de 63 pays, représentant des centaines de milliers d’agriculteurs, de pêcheurs, de travailleurs agricoles et d’autres communautés, ont envoyé une lettre au Directeur général de la FAO, Qu Dongyu , exprimant nos préoccupations. Ce même jour, plus de 250 scientifiques et chercheurs ont fait de même. Le directeur général a répondu, mais n’a pas répondu à nos préoccupations et a plutôt indiqué que le partenariat progressait. Peu de temps après, un groupe de 47 fondations et réseaux de bailleurs de fonds ont remis leur lettre de préoccupation et n’ont reçu aucune réponse de la FAO.
PAN a demandé à rencontrer le directeur général deux fois en décembre, sans réponse. En février, le PANAP et le PANNA ont commencé à coordonner cette campagne mondiale, réunissant des représentants de 11 organisations et réseaux mondiaux pour élaborer des stratégies sur nos objectifs et nos tactiques. En mars 2021, ces 11 organisations et réseaux mondiaux ont de nouveau écrit à Qu et demandé une réunion formelleLe Directeur général de la FAO Qu n’a pas répondu à notre demande de rencontre.

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