Paroles du Sud: nos choix agricoles, levier du changement systémique

Environ 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) sont causées par les systèmes alimentaires et agricoles mondiaux. A l’échelle européenne, notre système alimentaire contribue fortement à l’effet de serre alors que 31 % des terres requises pour satisfaire la demande alimentaire des européens se trouvent en dehors de l’Europe, ce qui alourdit plus encore l’empreinte carbone réel du système.
Chaque année, l’UE importe jusqu’à 22 millions de tonnes de produits à base de soja pour l’alimentation animale, en provenance notamment de zones destinées aux grandes cultures d’exportation dans les pays d’Amérique du Sud, où les preuves de déboisement (responsable de 20 % des émissions mondiales de CO2), d’éviction des terres, d’intoxication par les pesticides et de violation des droits de l’homme s’accumulent. « Selon les estimations, les importations de l’UE représentent près d’un quart des échanges mondiaux de soja, de viande rouge, de cuir et d’huile de palme – et résultent des activités de déboisements illégaux dans les tropiques. La demande européenne de soja continue à être la deuxième sur le marché mondial et contribue à ce titre à l’expansion du « modèle soja ». Moins de la moitié du poisson et des fruits de mer consommés dans l’UE sont produits dans l’UE, ce qui signifie que l’impact de l’Europe sur les ressources marines mondiales est immense. En d’autres termes, l’UE externalise de plus en plus l’empreinte environnementale de ses systèmes alimentaires ».
De l’autre côté de la balance, les agricultures paysannes des pays du Sud sont parmi les plus directement affectés et menacés par les changements climatiques, alors qu’elles englobent déjà les populations les plus pauvres et les plus vulnérables qui ont à subir des aléas climatiques de plus en plus forts. La fréquence et l’intensité des évènements et accidents climatiques extrêmes augmentant, cela entraine une diminution des rendements végétaux, comme du capital de production des exploitations des pays du Sud (pertes de terres suite à la montée des océans, destruction d’infrastructures, de plantations, d’animaux et de sols). De plus, la modification des conditions de production et l’accroissement de la précarité des familles entrainent des tensions et des conflits autour de la gestion de ressources (foncier, eau) qui se raréfient et, plus généralement, sont la cause d’un délitement des solidarités collectives traditionnelles. Outre les effets climatiques, il faut relever la fulgurante progression des cultures de soja en Amérique du Sud qui ont été directement entrainées par l’accroissement de la dépendance de l’Union européenne vis-à-vis des importations de soja.
Tous ces éléments étayent les propos du politologue Paul Aries qui synthétise : « Le changement climatique est d’abord la conséquence des inégalités sociales : 50 % de l’humanité est responsable de 10 % des émissions alors que 10 % des riches est responsable de 50 % des émissions avec une empreinte écolo 11 fois plus élevé que celle de la moitié de l’humanité ».
Si dans des sociétés globalement très riches comme le Luxembourg, la responsabilité individuelle mérite d’être envisagée, il est une responsabilité collective qui tient au modèle de développement agricole choisi par l’Union européenne et face auquel un changement des politiques publiques aurait un fort impact pour rééquilibrer la balance : selon Olivier De Schutter, co-président d’IPES-Food, membre de SOS Faim et auteur principal du rapport sorti en février et intitulé Vers une politique alimentaire commune pour l’union européenne : « Une politique alimentaire commune peut constituer le levier d’une transition d’ensemble vers des systèmes alimentaires durables, là où la PAC, la politique agricole commune, en est incapable. »
En substance, les recommandations promeuvent en priorité les circuits courts, une transition de l’agriculture vers des modes de production à faible empreinte carbone (élevages herbagers, autonomes en azote, à faible consommation énergétique), une relocalisation des productions au plus près des lieux de consommation (y compris relocalisation des production fourragères à proximité des élevages), l’arrêt de l’utilisation de produits ayant un impact indirect en termes de déforestation (soja, huile de palme…), le développement de modes de transport à faible empreinte carbone, sans oublier la réduction de la consommation de produits animaux.
C’est ainsi que la PAC, dont la réforme est en cours, pourrait, en complément d’autres politiques, contribuer d’une façon déterminante à la réduction de l’empreinte carbone du système agricole et alimentaire européen. Plus concrètement, il conviendrait d’orienter les aides publiques de la PAC spécifiquement vers les systèmes d’élevage à dominante herbagères, les systèmes n’utilisant pas d’engrais azotés et plus généralement les systèmes agroécologiques, sur la base d’une identification dans chaque région des systèmes de production ayant de faibles empreintes carbone.
Couplée avec des instruments de politique commerciale et en matière de réglementation environnementale, la PAC, avec un budget annuel de 60 milliards €, constitue un puissant outil d’orientation des productions en fonction d’objectifs économiques, sociaux et environnementaux.
Marine Lefebvre
www.sosfaim.lu