La société civile nigérienne se mobilise

Le 21 décembre 2016, la société civile nigérienne appelait à une marche de protestation.
Cette marche marque le point de départ d’un mouvement citoyen visant à „redonner au peuple sa dignité, et à défendre les droits civils et politiques, mais aussi et surtout les droits économiques, sociaux et culturels“.
Découvrez les raisons d’être de ce combat citoyen publié début janvier 2017 par Moussa Tchangari, Secrétaire général d‘ALTERNATIVE ESPACES CITOYENS, partenaire de SOS Faim.
Les raisons de notre combat citoyen
Plate-forme revendicative citoyenne pour la défense des droits humains
Considérant la résolution du peuple nigérien à bâtir un État de droit garantissant, d’une part, l’exercice des droits collectifs et individuels, la liberté, la justice, la dignité, l’égalité, la sureté et le bien-être comme valeurs fondamentales de notre société, et d’autre part, l’alternance démocratique et la bonne gouvernance ;
Considérant son attachement aux principes de la démocratie pluraliste et aux droits humains tels que définis par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples de 1981 ;
Considérant son attachement indéfectible au principe fondamental de la souveraineté du peuple, au caractère démocratique et social de la République, ainsi qu’aux instruments juridiques régionaux et internationaux de protection et de promotion des droits humains tels que signés et ratifiés par le Niger ;
Considérant son opposition absolue à tout régime politique fondé sur la dictature, l’arbitraire, l’impunité, l’injustice, la corruption, la concussion, le régionalisme, l’ethnocentrisme, le népotisme, le pouvoir personnel et le culte de la personnalité ;
Nous, organisations de la société civile nigérienne, citoyens et citoyennes de tous les horizons, attachés à la défense des droits humains fondamentaux et à la démocratie,
Constatant que les droits civils et politiques, ainsi que les libertés fondamentales, consacrés par les instruments juridiques internationaux et régionaux et la Constitution du 25 novembre 2010, notamment les libertés d’expression, d’association et de manifestation, font l’objet de restrictions inacceptables et sont constamment bafoués par les autorités en place;
Constatant que l’arbitraire, l’impunité, l’injustice, la corruption, la concussion et le népotisme ont pris une ampleur jamais égalée dans le pays, et sont même en passe d’être érigées en « normes » dans la gestion des affaires publiques à tous les niveaux ;
Constatant que les autorités en place continuent, sous divers prétextes, de multiplier les atteintes auxdroits économiques et sociaux des citoyens à travers notamment des mesures de déplacement forcé de populations, l’interdiction et la criminalisation d’activités économiques légales, la confiscation et la destruction sans indemnisation des biens privés, la destruction sans indemnisation des installations commerciales dans les centres urbains, les obstacles et restrictions à la libre circulation des personnes, etc ;
Constatant que les conditions de vie des populations nigériennes ne font que se dégrader tant dans les villes que dans les campagnes, en raison de l’extrême vulnérabilité des systèmes de production aux chocs climatiques, de la persistance du chômage de masse, en particulier chez les jeunes et les femmes, de la cherté des denrées de base, de la déliquescence et de la marchandisation des services essentiels ;
Constatant l’incongruité des mesures telles que la concession des magasins sous-douanes à Bolloré envisagées et/ou mises en œuvre par les autorités en place pour faire au faible niveau de mobilisation des ressources internes qui est lié à l’inefficacité de l’administration, à sa politisation à outrance, et à la persistance de la corruption et de l’impunité ;
Constatant que le financement public des secteurs sociaux de base, notamment l’éducation et la santé, est resté, depuis au moins une décennie, largement en dessous des seuils respectifs promis de 25% et 10% des ressources du budget de l’État que tous les gouvernements successifs se sont pourtant engagés à atteindre ;
Constatant que le faible niveau de financement public des secteurs sociaux de base, notamment de l’éducation et de la santé, se traduit par la déliquescence progressive des systèmes d’éducation et de santé,la faible qualité et la marchandisation des prestations, et l’aggravation des difficultés d’accès pour les plus pauvres ;
Constatant que la situation sécuritaire ne fait que se dégrader dans le pays, entrainant une véritable catastrophe humanitaire, d’énormes pertes en vies humaines dans les rangs des forces de défense et de sécurité, des violations graves des droits humains, une augmentation sans précédent des dépenses militaires et de sécurité, ainsi qu’une présence militaire étrangère accrue portant atteinte à la souveraineté de notre pays ;
Constatant le bradage sans précédent des ressources de notre sous-sol, sur fonds de non respect des textes relatifs à la fiscalité dans le secteur des industries extractives et pétrolières, aux droits des travailleurs nationaux dudit secteur, à la répartition des recettes tirées de l’exploitation minière et pétrolière entre l’État et les collectivités ainsi qu’à leur utilisation au profit des secteurs prioritaires indiqués par la Constitution du 25 novembre 2010 ;
Formulons à l’endroit des autorités en place les revendications cardinales suivantes comme base de notre action de mobilisation citoyenne :
A propos de l’État de droit et de la gouvernance démocratique
- L’abrogation de l’ordonnance N°84-06 du 1er mars 1984 portant régime des associations (modifiée par l’ordonnance N°84-50 du 5 décembre 1984 et la loi N*91-006 du 20 mai 1991) et de la loi N*2004-45 du 8 juin 2004 régissant les manifestations sur la voie publique. Ces deux textes, qui comportent des dispositions contraires à l’esprit des instruments juridiques internationaux et de la Constitution du 25 novembre 2010, doivent être remplacés par des nouveaux textes garantissant l’exercice, sans entraves, des libertés d’association et de manifestation.
- Le renforcement de l’indépendance de la justice à travers des réformes tendant, d’une part, à ériger le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) en une instance autonome soustraite à toute influence de l’Exécutif, et d’autre part, à assurer l’indépendance du Parquet vis-à-vis du Ministre de la Justice et à garantir la subordination de la police judiciaire au Parquet. Ces réformes doivent non seulement mettre fin à la présidence du CSM par le Président de la République, mais aussi prévoir un mécanisme permettant à tout justiciable de saisir directement le conseil sur des aspects disciplinaires. Elles doivent aussi porter sur la révision des critères de nomination aux fonctions de président du Conseil d’État.
- L’élaboration dans les meilleurs délais d’une loi portant statut des médias d’État, afin de garantir l’objectivité, l’impartialité et le pluralisme d’opinions dans le traitement et la diffusion de l’information; et ce, conformément aux dispositions de l’article 158 de la Constitution du 25 novembre 2010, qui précise que « les médias d’État sont des services publics dont l’accès est garanti, de manière équitable et effective à tous ». Cet article précise également que les médias d’État « ont l’obligation de favoriser le débat démocratique et de promouvoir les droits humains fondamentaux, les langues nationales et les produits sportifs et culturels nationaux, l’unité nationale, la tolérance et la solidarité, la paix et la sécurité, entre les différentes communautés, ainsi que la lutte contre toutes formes de discrimination ».
- L’élaboration d’un fichier électoral fiable et la mise en place d’une nouvelle Commission Électorale Nationale Indépendante, sur une base consensuelle, en vue de l’organisation, avant la fin 2017, des élections municipales et régionales.Cette exigence s’inscrit dans le souci de donner la possibilité aux citoyen(ne)s de choisir eux-mêmes leurs élus locaux et régionaux pour la gestion des collectivités.
- La réduction du train de vie de l’État et du personnel politique à travers la réduction de la taille du Gouvernement actuel (au moins de moitié) et du parlement à 113, ainsi que la limitation stricte du nombre des conseillers et chargés de mission au niveau de toutes les institutions de la République; et ce, dans un souci d’efficacité et d’économies budgétaires dans un contexte national d’ailleurs marqué par des difficultés de trésorerie. La réduction du train de vie de l’État doit impliquer également la diminution de moitié des fonds politiques et la mise en place d’un mécanisme garantissant un contrôle de leur utilisation; elle doit impliquer enfin la suppression des institutions budgétivores créées pour distribuer des prébendes à certaines personnalités.
- La révision de la Constitution et de la loi organique sur la Cour Constitutionnelle pour consolider l’indépendance de cette institution importante dans la vie démocratique. La révision des textes fondamentaux doit viser, non seulement à revoir la composition de ladite cour, mais aussi à offrir, au moins,aux organisations de la société civile, la possibilité de saisir directement la cour constitutionnelle; et ce, dans le souci d’éviter que cette prérogative soit l’apanage exclusif des pouvoirs exécutif et législatif.
- Le renforcement des capacités et des pouvoirs des autorités administratives indépendantes (Commission Nationale des Droits Humains, Conseil Supérieur de la Communication),y compris également des institutions d’audit et de contrôle (Cour des comptes) et des institutions sectorielles de régulation (Autorité de régulation des secteurs des télécommunications et de la poste, Autorité de régulation des marchés publics). Cela implique également la mise en œuvre d’une campagne d’information et de sensibilisation du public sur le rôle de ces institutions, et la mise en place de mécanismes permettant aux citoyen(ne)s de les saisir de leurs plaintes et de leur demander des comptes.
- L’intensification de la lutte contre la corruption, le détournement des deniers publics, l’enrichissement illicite, le blanchiment d’argent et autres crimes économiques et financiers à travers d’une part la mise en place d’un pôle judiciaire spécialisé disposant des ressources humaines et financières suffisantes, et d’autre part le renforcement de l’indépendance et des pouvoirs de la Cour des comptes et des inspections d’États. Cela suppose l’adoption des critères de nomination non partisans des membres de la Cour, la réalisation d’audits systématiques des finances publiques, des marchés publics, des entreprises publiques et parapubliques, des contrats miniers et pétroliers, des contrats de partenariat public privé, de la dette extérieure, ainsi que de toutes les compagnies et sociétés privées gérant des secteurs stratégiques concédés par l’État (téléphonie, eau potable, transport); et ce, dans l’optique d’engager des poursuites judiciaires contre toutes les personnes impliquées dans des affaires de corruption, de détournement de deniers et autres crimes et délits à caractère économique.
A propos de la sécurité et de la défense nationale
- La réorganisation, le renforcement des capacités opérationnelles, l’augmentation des effectifs dans les zones en proie aux menaces sécuritaires, et la réhabilitation de l’image des forces de défense et de sécurité afin de les rendre plus aptes à faire face à toutes les menaces, plus proches des populations civiles et plus respectueuses des droits humains tant en période de paix qu’en situation de conflit armé. Cela implique également l’audit des ressources financières importantes consacrées à la défense et à la sécurité au cours des cinq (5) dernières années dans l’optique de vérifier leur utilisation efficace et efficiente.
- La dénonciation de tous les accords de défense secrets liant l’État du Niger à d’autres puissances, et la fermeture immédiate de toutes bases militaires étrangères établies dans notre pays sur la base des tels accords; et ce, dans le souci de préserver la souveraineté du pays et contrer toute velléité de recolonisation. Cela signifie que seuls des accords régulièrement ratifiés et portant sur la coopération et l’assistance en matière de défense et de sécurité peuvent être maintenus.
- La mise au point d’une stratégie de prévention et de gestion des problèmes sécuritaires basée sur le respect des droits humains, le développement socioéconomique centré sur les besoins des populations,l’information, la sensibilisation et la participation des acteurs locaux, notamment des organisations des jeunes, des femmes, des élus locaux et des médias ; et ce, dans l’optique de sortir de la politique actuelle du tout sécuritaire et s’orienter vers une approche de réponse aux situations de conflits à travers des actions de développement socioéconomique.
- La Levée immédiate de toutes les mesures d’exception prises dans le cadre de l’état d’urgence dans la région de Diffa, notamment celles ayant une incidence grave sur la situation socioéconomique des populations (interdiction de la pêche, du commerce du poisson et du poivron,suspension de la tenue de certains marchés hebdomadaires); et ce, eu égard au fait que ces mesures sont très préjudiciables aux populations et violent les dispositions du Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels, qui fait obligation à tous les états signataires de « s’abstenir de prendre des mesures qui aient pour effet de priver quiconque de l’accès à une nourriture suffisante, à la santé et à l’éducation ».
- La révision de certaines dispositions des textes relatifs à la lutte contre le terrorisme, notamment celles relatives à la durée de la garde à vue et à la détention préventive ; et ce, dans le souci de prévenir tout abus de pouvoirs se traduisant par des détentions arbitraires, des détentions prolongées sans jugement et l’engorgement des lieux de détention. Cela implique également l’accélération de la procédure de jugement des centaines de personnes actuellement détenues dans les prisons de Kollo et Koutoukalé ; et par conséquent aussi le renforcement des effectifs et des moyens du pôle judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme et des centres de détention où les conditions sont plus déplorables voire inhumaines et dégradantes.
A propos des Droits économiques, sociaux et culturels
- La réforme du système éducatif et la réhabilitation de l’école publique à travers d’une part, l’augmentation de la part des ressources budgétaires consacrées au secteur de l’éducation pour atteindre le seuil de 25%, et d’autre part l’arrêt à brève échéance de la politique de contractualisation de l’enseignement. Cette réhabilitation de l’école publique suppose la revalorisation de la fonction enseignante à travers un système concurrentiel d’évolution de carrière et de rémunération, le paiement immédiat des arriérés de salaires dus aux enseignants contractuels, la mise en place des programmes de formation initiale et d’autres programmes novateurs afin d’améliorer l’apprentissage et répondre aux besoins des enfants, l’amélioration des conditions de vie et d’études des élèves et étudiants à travers notamment l’augmentation de l’enveloppe des bourses et allocations, la construction des salles cours, la réduction des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur, technique et professionnel.
- L’amélioration progressive de l’accès des populations aux soins de santé à travers d’une part, l’augmentation de la part des ressources budgétaires consacrées au secteur de la santé pour atteindre le seuil minimum de 10% recommandé par l’OMS, et d’autre part la mise en place d’un système de couverture médicale pour tous à travers des régimes d’assurances maladies et/ou de mutuelles de santé. Cette amélioration suppose la levée des barrières financières à l’accès aux soins de santé, le maintien et l’extension de la gratuité des soins, la répartition géographique adéquate du personnel de santé, ainsi que la revalorisation de ses conditions de travail et de rémunération.
- L’arrêt immédiat des opérations de déguerpissement des petits commerçants entreprises par les autorités régionales et municipales avec le soutien du gouvernement, ainsi que l’indemnisation et la relocalisation de tous ceux dont les kiosques et les boutiques ont été démolis à Niamey, Zinder et dans d’autres localités. Cette exigence s’applique également à toutes les personnes déplacées de force dans la région de Diffa, aux orpailleurs chassés des sites aurifères et à tous ceux dont les biens ont été confisqués et détruits sans aucune indemnisation.
- L’adoption et la mise en œuvre de mesures visant à lutter contre la cherté de la vie, y compris de mesures portant sur la régulation des prix des denrées de base et des loyers. Ces mesures doivent inclure notamment la réduction de 20% du prix à la pompe des hydrocarbures, la résiliation du contrat de gestion des magasins sous douane attribué à Bolloré, l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les produits de première nécessité et l’adoption d’une grille officielle des tarifs de loyer, qui soient abordables pour tous, y compris les personnes les plus vulnérables (les pauvres, les jeunes, les veuves, les orphelins, les personnes vivant avec le handicap).
- La mise en place d’un programme de création d’emplois pour les jeunes diplômés, les jeunes non scolarisés et déscolarisés et la réintégration de toutes les personnes admises régulièrement aux différents concours d’entrée à la fonction publique annulés suite à des constats de fraude. Cette exigence implique également la mise en place d’un programme de soutien à l’entreprenariat des jeunes à travers non seulement des subventions publiques, mais aussi des programmes de renforcement de capacités. Elle implique enfin la poursuite devant la justice de tous les auteurs, les complices et coauteurs de ces fraudes.
- La mobilisation des ressources humaines, financières et matérielles conséquentes, tant au plan national qu’au plan international, afin de faire face à la situation socio-économique difficile et poser les jalons d’un développement humain durable; et cela conformément aux dispositions de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui stipule que les États sont tenus « d’agir, au maximum de leurs ressources disponibles, pour assurer progressivement le plein exercice des droits économiques, sociaux et culturels », y compris par l’assistance et la coopération internationale. Cela implique aussi l’application stricte à toutes les compagnies œuvrant dans le secteur des industries extractives des dispositions de la loi 2006-26 du 09 août 2006, et la rétrocession effective de 15% des revenus tirés de l’exploitation des ressources du sous-sol aux collectivités des régions où sont situés les industries extractives.
- La renégociation des contrats miniers et pétroliers afin d’accroitre la mobilisation des ressources internes indispensables pour la concrétisation des droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que le respect par les compagnies minières et pétrolières des droits des travailleurs. Cela implique l’arrêt des licenciements abusifs des travailleurs par certaines compagnies.
- La création des conditions favorisant le développement rural et l’autosuffisance alimentaire à travers, d’une part, l’allocation d’au moins 20% des ressources budgétaires au secteur agro-sylvo-pastoral, et d’autre part l’adoption de mesures et actions visant à améliorer et renforcer la résilience des systèmesde production face aux chocs climatiques. Cela implique le rejet des accords de partenariat économique (APE) et de tout projet d’accaparement des terres agricoles et pastorales, le soutien de l’État à l’agriculture familiale, aux systèmes de conservation, de transformation et de commercialisation des produits alimentaires.
- L’arrêt immédiat de la chasse aux migrants et de la criminalisation des activités liées à la migration conformément à l’esprit et à la lettre des instruments juridiques internationaux ratifiés par le Niger. Cela implique le respect strict de toutes les dispositions du protocole de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des biens et l’abstention de signer tout accord pouvant se traduire par des restrictions à la mobilité des personnes. En particulier cela implique la non signature des accords de réadmission souhaités par l’Union Européenne et le refus de la logique d’externalisation des frontières telle qu’elle se manifeste à l’heure actuelle.
Fait à Niamey, le 6 Janvier 2017