[Chronique] « Choisir aujourd’hui les semences de demain »

[Chronique] « Choisir aujourd’hui les semences de demain »

Découvrez la chronique de Marine, responsable Plaidoyer SOS Faim, parue dans Le Quotidien en date du 19 février.

Le mouvement de concentration qui touche le secteur des semences soulève de nombreuses questions dont le pouvoir accru des plus grandes firmes de la chaîne agroalimentaire n’est qu’un des aspects. Si, en 2015, dix entreprises contrôlaient ainsi quelque 75 % du marché mondial des semences ; il n’en reste que trois aujourd’hui: Bayer, Chem China et Corteva. Or, face au changement climatique, la résilience de nos systèmes alimentaires réclame au contraire une variété maximale de plantes cultivées  …

La concentration de la production de semences alimentaires s’opère dans le secteur qui est d’abord celui des géants de l’agrochimie. Curieux mariage ? Cette concentration poursuit en fait deux objectifs très voisins : contrôler un maximum de brevets, en particulier sur les OGM, mais aussi vendre aux agriculteurs un «paquet complet», incluant semences, engrais et les pesticides qui vont avec, y compris, d’ailleurs, des pesticides interdits en Europe pour des raisons sanitaires, mais qui continuent d’être exportés vers les pays en développement.

Si cette (r)évolution du secteur contribue pour partie à une amélioration des variétés par voie technologique dans le but principal d’assurer des rendements maximaux, elle a également pour conséquence d’influencer profondément les réglementations en vigueur sur les semences. C’est ainsi, explique Frank Adams, maître semencier au Luxembourg, co-fondateur de l’association SEED, que « les lois semencières gèrent la qualité des semences, l’autorisation de commercialisation et les droits de propriété intellectuelle. (…) Elles font malheureusement partie des facteurs accélérant l’érosion génétique des variétés traditionnelles et locales ».

Stigmatisées par l’industrie pour avoir des rendements trop faibles, ces semences paysannes présentent pourtant bien d’autres avantages : « la diversité génétique des plantes alimentaires d’origine paysannes ne se définit pas seulement par un grand nombre de variétés locales différentes, mais aussi par les processus évolutifs que réalisent ces variétés à travers le temps, et les cycles successifs de reproduction, dans un contexte in situ et on farmDans ce sens, ces variétés promettent une sécurité de rendement à long terme. ».

Péril sur les semences paysannes

Comme tous les acteurs des semences paysannes, Frank Adams regrette que « les semences des variétés traditionnelles issues d’une sélection paysanne millénaire soient progressivement remplacées par les variétés industrielles importées et les variétés nationales améliorées. »

De fait, dans les pays où l’activité agricole concerne encore 60 à 80% de la population, des initiatives existent pour préserver les systèmes semenciers paysans. Ainsi, le COASP, Comité ouest-africain des semences paysannes explique : « Face à l’invasion progressive des semences commerciales, industrielles, notamment les OGM, favorisée par les lois nationales et sous régionales sur le commerce des semences et sur la propriété intellectuelle sur le vivant, les semences paysannes sont menacées de disparaître. Notre souveraineté alimentaire n’est possible qu’avec nos semences paysannes.»

Alors que la mondialisation des systèmes alimentaires fait peser de fortes contraintes sur le monde paysan, diverses publications récentes de la FAO arrivent à la conclusion que, pour atteindre l’objectif de la sécurité alimentaire durable et pour vaincre la faim dans les pays du Sud, la meilleure solution passe par la promotion de l’autosuffisance alimentaire des paysans et son corolaire, la souveraineté semencière.

La préservation de la biodiversité cultivée est une des nouvelles priorités soutenue par les mouvements sociaux, car les systèmes semenciers paysans représentent un pilier essentiel  de l’évolution continue de la biodiversité cultivée et sont garants de la sécurité alimentaire à long terme.

En septembre 2018, le Luxembourg a voté en faveur de l’adoption de la Déclaration des droits des paysans et autres personnes vivant en milieu rural (DDP), adoptée en décembre 2018 par l’Assemblée générale des Nations-Unies. Les ONGD du Luxembourg, représentées par le Cercle de coopération, ont félicité et remercié le gouvernement du Luxembourg d’avoir apporté son soutien à la DDP. Cependant, ce texte mérite mieux qu’une considération symbolique et c’est à une véritable mise en œuvre de la DDP que les ONGD en appellent.

Marine Lefebvre, responsable plaidoyer SOS Faim Luxembourg

Légende photo : Des épis d’une vieille variété de mil font la prospérité d’un village peul qui a pu refaire ses greniers à neuf (ferme de la famille du Président de la FCMN, organization paysanne du Niger). Photo P.Delmas.

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