Au Niger, une société civile en ébullition

Au Niger, une société civile en ébullition

Le 25 février 2018 à Niamey et dans les grandes villes du Niger, des milliers de manifestants ont demandé « l’abrogation » de la loi de finances 2018, qu’elles jugent « antisociale », et le départ des « forces étrangères » basées dans le pays. Les premières manifestations ont été  ont été organisées fin janvier et début février.

Un collectif nommé CADRE DE CONCERTATION ET D’ACTIONS CITOYENNES DE LA SOCIETE CIVILE NIGERIENNE INDEPENDANTE s’est formé. Dans ses publications, il a rappelé que la tragédie survenue en 1990 a d’autant plus marqué les esprits qu’elle a été le point de départ du processus de démocratisation du pays qui marque également le début de la coopération avec le Luxembourg, notamment.

Or, près de 30 ans après, c’est l’amertume qui l’a emporté, face à un régime qui inspire la défiance à ses concitoyens : « le Président Issoufou Mahamadou a réussi l’extraordinaire exploit de transformer le Niger en une véritable république bananière où prospèrent les intérêts étrangers. D’abord, ceux des grandes puissances occidentales, notamment la France et les États Unis, qui se sont vues octroyer gracieusement, sans aucune consultation du parlement, le droit d’y installer des bases militaires où sont déployés des centaines de soldats équipés d’armements ultra sophistiqués. Ensuite, ceux des grandes compagnies multinationales qui, comme les sociétés de téléphonie, bénéficient d’avantages fiscaux faramineux, et qui, comme AREVA et la CNPC, exploitent les ressources du sous-sol dans les conditions qu’elles ont choisies », écrit Moussa Tchangari, Secrétaire Général d’Alternative Espaces Citoyens (AEC).

La goutte qui a fait déborder le vase, c’est la loi de finances 2018, aussi appelée « loi scélérate » : « En dépit de ces signaux évidents, il est frappant de constater que le Président Isssoufou et ses principaux soutiens internes et externes (…) pensent pouvoir continuer à mettre le pays sous coupe réglée à travers la mise en œuvre d’une politique antisociale, dont la loi de finances 2018 n’est qu’une étape. (…) Le vote de cette loi de finances constitue la preuve éloquente que les autorités nigériennes, mais aussi leurs amis extérieurs, sont encore loin de prendre la mesure de la colère qui gronde au sein du peuple », poursuit Moussa Tchangari tandis que le collectif dénonce :

« qu’au moment où le gouvernement accorde des cadeaux fiscaux et des exonérations fantaisistes à des multinationales bien nanties, on institue des impôts et taxes sur des produits (biens et services) de première nécessité et que les recettes collectées servent à financer des dépenses de prestige et des emplois fictifs au détriment des services sociaux de base comme la Santé et l’Education. A l’heure où nous parlons, des contractuels de la santé et de l’éducation peinent à jouir de leurs pécules régulièrement. Ceux de la santé enregistrent aujourd’hui, six mois d’impayés pour des pécules de misère d’à peine 55000F par mois dans ce contexte de renchérissement tout azimut du coût de la vie. »

Il y a peu, le Président de la République du Niger, annonçait devant ses homologues européens que 25% du budget de l’État était consacré à l’éducation, alors qu’après 7 ans de pouvoir, ce budget ne dépasse en fait pas les 12%.

« Ils ont bradé notre souveraineté »
Le collectif poursuit : « Ils ont bradé notre souveraineté, comme en témoignent les contrats léonins qu’ils signent les yeux ouverts avec des compagnies prédatrices et l’installation des bases militaires étrangères, qui ne sont ni plus ni moins que des forces d’occupation, dont ils attendent une certaine protection. »
Comme un écho donné à ces soupçons de connivence, le Luxembourg a annoncé début février un renforcement des liens économiques et commerciaux entre le Grand duché et le Niger ; le communiqué de presse publié par le Ministère des Affaires étrangères et européennes suite au voyage de Jean Asselborn dans les pays sahéliens explique : « alors que la coopération avec le Niger comprend désormais aussi un volet sécuritaire, notamment à travers l’appui fourni par le Luxembourg à la mission européenne EUCAP Sahel Niger et au G5 Sahel, dont le Niger vient de prendre la présidence, les échanges de vues du ministre Asselborn avec les autorités nigériennes à Niamey ont confirmé la volonté d’intensifier les liens économiques et commerciaux entre le Niger et le Luxembourg. »

Dans le même temps, le collectif poursuit ses accusations contre les dirigeants nigériens:

« Au moment où l’école publique est détruite volontairement, leurs enfants étudient dans les meilleures écoles du monde ; au moment où le système de santé est brinquebalant au Niger, nos dirigeants et leurs familles sont soignés dans les meilleurs hôpitaux du monde avec nos impôts ; au moment où certaines routes sont impraticables, comme celle dite de l’uranium, eux voyagent en jet aménagé pour leurs plaisirs, au frais du contribuable. »

« Ils ont fragilisé notre démocratie »
Ultime accusation portée par le collectif : « Ils ont fragilisé notre démocratie comme le prouve rapport Democracy Index 2017, publié par le journal britannique The Economist group, qui classe le Niger à la 122ème place, avec la précision que notre pays est dirigé par un régime autoritaire. »

Mais ce panorama du climat politique et social serait incomplet sans une évocation de la situation sécuritaire, sujet abordé par A.T. Moussa Tchangari sur le site de l’association AEC: « des pays comme le Tchad et le Niger ont déjà dépensé beaucoup d’argent au cours de ces dernières années pour des résultats plutôt mitigés en matière de lutte contre le terrorisme. Les groupes terroristes, même s’ils ont été militairement affaiblis, continuent de constituer une menace sérieuse; en même temps que le contexte socioéconomique et politique reste globalement favorable à la tentation extrémiste au sein de la jeunes. La persistance de l’insécurité armée, malgré les importants efforts financiers consentis par les États, devrait amener les dirigeants sahéliens à se remettre en cause; surtout à se demander s’il est possible d’éteindre ce grand brasier sahélien, en laissant prospérer les injustices quotidiennes, la corruption et les violations des droits humains qui l’alimentent. »

Si cette mobilisation n’a pas encore attiré l’attention des médias européens, la société civile semble déterminée :

« nous avons la responsabilité historique de continuer la lutte actuelle jusqu’à la satisfaction de notre juste et légitime revendication de l’abrogation pure et simple de toutes les mesures antisociales et impopulaires contenues dans cette fameuse loi des finances 2018. »

Et le collectif d’appeler la société civile à tracer « inlassablement une voie de sortie de la dérive dans laquelle le pays s’est installé depuis quelques années. Cela est possible ; à condition que la peur soit vaincue par le plus grand nombre. La mobilisation citoyenne s’impose pour arrêter l’aliénation du pays. »

Avec le slogan : Tous unis, nous vaincrons ! La lutte continue !

Une autre manifestation contre la loi de finances est programmée le 11 mars. Pour répondre à ces vagues de protestation, la coalition des partis au pouvoir prévoit une contre-manifestation le 4 mars.

Marine Lefebvre

Article publié dans : @fr